J'ai fait un rêve... - Graziella Guerrier - Poésie

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J'ai fait un rêve...

 
 


J'ai fait un rêve...

 
 
 

À pas lents et mesurés, ils arrivaient de toutes parts. Sur la terre ils chantaient, dans le ciel ils sifflaient mais sur les eaux le silence régnait. Le clapotis des vagues aurait pu être leur accompagnement musical, mais aucun son n’émanait des lacs et des rivières, des mers et des océans, des fleuves et des rus.

Dans les cieux les oiseaux se taisaient et le bruissement de leurs ailes n’était que soupirs inaudibles. Sur la terre, les feuilles mortes fondaient en secret, les brindilles disparaissaient dans le sol sans craquer et les talons, dans un mouvement gracieux mais irréductible, restaient aussi muets que tenaces.

Cette armée fonçait droit sur moi. J’aurais pu courir, partir me cacher dans quelque refuge indestructible mais je choisis de rester figée sans bouger le moindre poil. Que me voulaient-ils ? Je devais le savoir.

Ils étaient nus, complètement nus ; étaient-ils transparents ? Je sentais leurs vibrations m’envahir et leurs mains me toucher. Pourtant ils étaient loin, très loin du point où mes pieds venaient de prendre racine.

Alors, sans que nul pût le prévoir, je poussai un cri. Un cri qui déchira la terre, le ciel et les eaux. Un cri qui trouva sa source sur le point culminant de ma souffrance et qui tenta de briser, éliminer, désintégrer l’univers et tout ce qui l’entourait. Un cri qui se voulait éradication.

Ils continuèrent d’avancer. Leur but n’était pas atteint et rien ne semblait pouvoir les dévier de la trajectoire qu’ils avaient, je le sentais, minutieusement élaborée. Mon cri se vautra lamentablement dans l’harmonie environnante. Les couleurs resplendissaient de pureté.

Il est vrai que dame nature avait mis son plus bel habit. Étions-nous au printemps ? à l’automne ? Les saisons disparaissaient si rapidement. À peine la neige recouvrait les sols et ce qui s’y trouvait que les inondations déménageaient les inconscients et le blé mûrissait. Nous étions donc à l’automne. Féerie des lumières sur les peintures des paysages. Beauté divine des passions qui s’estompent et laissent à l’innocence le rêve et la béatitude.

Combien étaient-ils ? L’ampleur de leurs chants et sifflements présageait un nombre incalculable ; leurs silences un nombre encore plus vaste. Lever un pied pour vérifier que je pouvais changer d’avis et prendre les jambes à mon cou ; impossible. J’étais prisonnière, ancrée à ma folie. Mes racines s’enfonçaient de plus en plus profondément ; je les sentais ramper dans les sous-sols de la terre à vive allure.

Il me vint alors l’envie fulgurante de les avoir là, près de moi, pour en finir avec l’attente. Prémices d’un moment totalement occulte, leur avancée n’en finissait pas ; mon impatience était à son comble et mon cœur menaçait d’exploser. Les eaux tremblaient sans un bruit sous leurs pas déterminés. Les airs se gonflaient en silence devant leurs déplacements résolus. Et la terre absorbait la symphonie de leur chorégraphie. J’étais dans l’absolue ignorance.

Midi. Tandis que la chaleur m’envahissait, caressant mon ego et mon corps, je joignais les mains pour une prière de compassion envers tous ceux qui, comme moi, ne bougeaient plus ; pour tous ceux qui, comme moi, furent foudroyés en plein envol. Et dans ce recueillement puisé au fin fond des ténèbres, là où une petite étoile luit en permanence, je trouvai une minuscule flammèche qui me rassura.

Les yeux grands ouverts, éblouie d’espoir et de vivaces expectatives, je souris.

Fins stratèges, ils étaient beaux, ils étaient purs, leur ballet me submergeait de songes transgressifs. Il me semblait décoller pour rejoindre l’infini mystère. Cependant, leur avancée n’était que promesse, charme et envoûtement. Calice d’amertume, cruauté d’un réalisme forcené, je ne voulais croire qu’à la beauté.

Coincée dans ce théâtre d’où je ne pouvais m’échapper, pointant un doigt accusateur vers cette troupe en marche pour me corrompre et m’achever, je m’écriai « À moi la Lumière ! ».

Soudain l’image s’arrêta. Plus de mouvements ; plus de sons. La pendule stoppa ses aiguilles et le soleil se mit à parler. Je tombais à genoux ; racines aux pieds et tentative de fuite ne pouvaient donner qu’une telle issue.

« Ne me regarde pas » me dit-il.
« Saisis le rayon qui passe et laisse-toi guider » continua-t-il.

Ce que je fis. Il me ravit de continents superbes sur lesquels je découvris la force, l’énergie, le courage ; la volonté et le pouvoir de quitter la couche obscure qui obstruait le raisonnement et les élans du cœur. Je vis les anges et je crus les reconnaître.

Lorsque je revins sur la planète, celle que l’on nomme « Terre », j’entendis la mer se déchaîner contre les jetées qui protégeaient les ports et je vis les phares signaler les écueils à contourner. Les oiseaux chantaient en se laissant porter par le vent du large et mes pas résonnaient sur le chemin côtier qui longeait le haut de la falaise.

Enfin déracinée, enfin libre, je courus vers l’océan. Lorsque mes pieds touchèrent le vide, j’écartai les bras tel un goéland ses ailes, je réunis mes jambes telle une mouette ses pattes, j’aplanis mon corps et je fermai les yeux. Je planai ainsi durant un temps merveilleux au dessus des abysses et des tempêtes océanes.

Combien de temps exactement, je ne pourrais le dire.
À suivre...

Graziella Guerrier

 
 
 
 
 
 
 
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